Partager la publication "Toni Nadal : “Jamais je n’ai forcé Rafa à jouer de la main gauche”"

Il est impossible de parler de Rafael Nadal sans évoquer Toni, son oncle. Sans lui, le monde n’aurait jamais connu un des plus grands joueurs de l’histoire du tennis et, plus généralement, un des plus grands athlètes de l’histoire du sport. Toni Nadal a appris à son neveu à jouer au tennis et il l’a entraîné durant toute sa carrière jusqu’en 2018, où il s’est mis en retrait pour s’occuper de la Rafa Nadal Academy. L’Espagnol, né à Majorque en 1961, a donc créé, puis façonné une légende. A l’occasion de Roland-Garros 2017, Tennis Legend a eu la chance de s’entretenir avec oncle Toni dans l’espace Lavazza du village. Bavard, drôle, Toni Nadal nous a raconté quelques anecdotes savoureuses, et c’est en écoutant ses paroles que l’on comprend mieux la mentalité exceptionnelle du Taureau de Manacor sur un court de tennis. Interview de légende :
« A quel âge avez-vous commencé à jouer au tennis ?
J’ai commencé à jouer au tennis quand j’avais 13 ans. Avant cela, je jouais au foot et au tennis de table.
Quel niveau avez-vous eu au tennis ?
Je n’étais pas très bon (Ndrl : Modeste Oncle Toni). J’ai été dans la catégorie la plus haute de la deuxième catégorie quand il y avait 24 joueurs dans la première. Je devais être dans les 30/35 meilleurs joueurs d’Espagne. (Ndlr : Il y a trois catégories en Espagne (1, 2,3) sachant que la catégorie 2 est divisée en deux (A et B). Aujourd’hui, la catégorie 1 regroupe les joueurs de n°1 à n°50. La 2A regroupe les joueurs de n°51 à 150, la 2B de n°151 à 300, et la 3 tous les autres joueurs avec des sous-catégories (G10, G9… G1). Toni Nadal était donc un très bon joueur) J’étudiais et je faisais des tournois pendant l’été, mais je ne jouais pas beaucoup.
“J’ai mis trop de pression à Rafael et ce n’est pas bon.”
Quand êtes-vous devenu entraîneur ?
J’ai fait mes études à Barcelone. Je jouais là-bas au tennis et, quand je suis revenu à Majorque, vers 21/22 ans, j’ai commencé à entraîner mon frère, Miguel Angel (Ndlr : grand joueur de football, international espagnol, passé par Majorque et le FC Barcelone, évoluant au poste de défenseur central. Miguel Angel Nadal a cinq ans de moins que Toni), et j’ai vu que je pouvais être un mauvais entraîneur. Je jouais avec mon frère, je le préparais pour être un très bon joueur de tennis, et il a fini très bon au foot (rire). Miguel Angel était un bon joueur de tennis. Il a gagné les championnats de Majorque mais il était encore plus fort au foot.
Rafa Nadal dans les bras de Miguel Angel, à trois ans
Quelle est votre meilleure qualité en tant qu’entraîneur ?
La parole peut-être. Je crois que je suis une personne avec du bon sens. Je suis logique, et, le plus important, je n’ai pas peur de dire ce que je pense. Et avec les bons joueurs de tennis, ce n’est pas toujours évident. Ils payent une personne pour écouter quelque chose et cela peut être difficile.
Quel est votre plus gros défaut en tant qu’entraîneur ?
Cela dépend avec qui. Quand j’entraînais d’autres joueurs avant mon neveu, je crois que j’avais moins de force. Avec Rafa, quelque part, je lui ai mis trop de pression et ce n’est pas bon. Je pense que cela fait partie des mauvaises choses que j’ai faites.
Est-ce plus dur ou plus facile d’entraîner quelqu’un de sa famille ?
C’est plus facile car tu as plus de possibilités de faire ce que tu veux.
“Nike a inventé cette histoire.”
Quand avez-vous commencé à entraîner Rafa ?
Quand il avait trois ans je crois. Il est venu un jour au club où j’étais le directeur de l’école de tennis. Je lui ai lancé quelques balles et j’ai vu qu’il frappait bien. Alors, j’ai essayé de le faire commencer à jouer, mais il n’aimait pas beaucoup car il préférait le foot à cet âge-là. Après, il est venu deux fois par semaine quand il avait cinq ans.
Avez-vous tout de suite remarqué qu’il était doué ?
Quand il avait sept ans, j’ai dit à son père : il sera le champion d’Espagne. J’entraînais un autre jeune qui était le n°2 espagnol et je pensais que mon neveu était plus fort que lui. J’ai dit ça à son père, mais à personne d’autre. J’ai vu qu’il était talentueux mais, après, cela dépend du travail, de ce que tu peux faire de ce talent.
Rafa Nadal est droitier. Est-ce vrai que vous lui avez dit de jouer de la main gauche ?
Ça, c’est une histoire qu’a inventée Nike. Les journalistes et les marques aiment bien dire des choses qui ne sont pas exactement vraies (rire). Ils aiment le théâtre. Jamais je ne ferai changer une main à un garçon. Je ne suis pas très intelligent mais je ne suis pas idiot. Rafael, il jouait tout à deux mains et, quand il était très jeune, vers 3, 4, 5 ans, je ne savais pas s’il était droitier ou gaucher car il frappait pareil des deux côtés avec les deux mains. A un moment, on doit décider pour le service et il servait bien avec la main gauche et avec la main droite. Il y avait juste une chose. Quand il voulait frapper fort, il utilisait toujours le côté gauche (Toni montre le geste avec ses mains), alors je pensais qu’il était gaucher. La seule chose que j’ai faite, c’est de le faire passer de deux mains à une main. Il jouait très bien à deux mains et, quand il avait 10 ans, je lui ai demandé : combien de joueurs dans le Top 10 jouent à deux mains ? Aucun. Alors, il a changé. J’ai juste été logique. Maintenant, je sais qu’il est droitier. Cela veut dire que si je l’avais su avant, peut-être qu’il aurait pu gagner encore plus de fois à Roland-Garros, peut-être 15 (Il rigole). Aujourd’hui, il ne fait que jouer au tennis de la main gauche. Pour tout le reste, il est droitier.
Rafa Nadal à 12 ans
Une anecdote géniale dans la maison de Carlos Moya
Vous avez remarqué très tôt qu’il était doué mais à partir de quel moment vous êtes-vous dit : “cela peut-être un grand champion, il peut être très fort.” ?
J’ai toujours pensé qu’il pouvait être un champion car c’est très difficile de bien travailler si tu ne crois pas que tu peux obtenir ce que tu veux, si tu n’as pas confiance en toi. Je me souviens. Une fois, nous étions dans la maison de Carlos Moya et il m’a demandé : – s’il y a un papier ici qui dit que ton neveu sera le nouvel Albert Costa. Il venait de gagner à Roland-Garros (Ndlr : en 2002 donc). Est-ce que tu signes ?
Je lui ai dit : – Non, non, non, jamais je ne signe ça. Je pense que mon neveu sera plus fort.
Carlos Moya était surpris : – Wow, tu es un peu fou. Et pour une carrière à la Carlos Moya, tu signes ?
Il avait été n°1 mondial, il avait gagné aussi à Roland-Garros (en 1998), et il avait participé cinq fois au Masters.
Je lui ai répondu : – Pour être un Carlos Moya, je signe.
Mais en sortant de la maison, j’ai dit à Rafa : – Jamais je n’aurais signé ça. J’ai dit oui car nous étions dans sa maison.
J’ai toujours pensé que mon neveu serait bon parce que je suis son oncle, parce que je suis son coach, et parce que je veux penser ça. C’est impossible de faire du bon travail si tu penses que tu ne peux pas être très bon. Par exemple, je savais que Rafael servait très mal ou pas très bien, mais j’ai toujours pensé qu’il pouvait bien servir et qu’il allait servir de mieux en mieux dans le futur. Après, il ne fait pas partie des meilleurs serveurs mais il a progressé. C’est une attitude que l’on doit avoir je pense.
Rafael Nadal, à 13 ans, lors de sa victoire aux Petits As
“Rafa est peut-être le Top 10 le plus facile à entraîner.”
Imaginiez-vous une telle carrière car Rafa est devenu une légende ?
Non. Jamais je n’aurais pensé qu’il puisse gagner 14 titres du Grand Chelem ou 9 Roland-Garros. C’est incroyable. J’ai vu jouer Borg, il était incroyable, et jamais je n’aurais imaginé qu’il puisse faire mieux que Borg. Mais je ne sais pas s’il est plus fort que Borg.
Quelle est la chose la plus difficile dans l’entraînement de Rafa ?
Quand il était jeune, il n’y avait rien de difficile car il écoute beaucoup. Et, quand il était grand, parfois, j’avais une opinion et il n’avait pas la même, mais jamais je ne dis deux fois les mêmes choses. Quand je lui dis : – Je crois que tu dois faire ça. Si tu ne veux pas le faire, c’est ton problème, pas le mien. Donc, il n’y a pas de choses très difficiles avec lui. Je crois que Rafael est très facile à entraîner. C’est peut-être le Top 10 le plus facile à coacher.
Êtes-vous fier aujourd’hui du travail accompli ?
Je n’aime pas le mot fier. Je suis content de ce qu’a fait Rafael en tant que coach et en tant qu’oncle. Je suis content pour lui et je suis content pour moi aussi. J’ai trois fils qui jouent aussi au tennis. Ils ne jouent pas très bien mais cela me rend heureux également. Ce n’est pas une question de fierté. »
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