Partager la publication "Programmation, disqualification, rôle, le juge-arbitre de Roland-Garros Rémy Azémar nous explique en détail son job"

A 49 ans, le Français Rémy Azémar, originaire de Paris, occupe depuis six années un poste clé et primordial pour l’organisation et la bonne tenue d’un tournoi du Grand Chelem : il est juge-arbitre de Roland-Garros. Pendant l’édition 2023, ce passionné de tennis nous a reçu dans son bureau en compagnie de quelques autres confrères pour nous expliquer en détail son boulot. La programmation, son rôle, ses fonctions, les équipes autour de lui, Rémy Azémar dévoile son travail au quotidien et pour la première fois depuis qu’il occupe ce poste, il a été confronté à une disqualification. En huitièmes de finale du double dames et il a été contraint de disqualifier la Japonaise Miyu Kato qui avait envoyé involontairement une balle dans la tête d’une ramasseuse. Il revient sur ce fait de jeu et raconte le processus de décision dans le cas d’un tel événement.
La programmation de Roland-Garros : le processus de décision
Comment tranchez-vous pour faire le programme ?
« C’est un long process. Concrètement Roland-Garros, c’est 891 matchs sur les trois semaines. Il faut sortir chaque jour une programmation qui doit satisfaire le plus d’acteurs possible. Donc à la fois les spectateurs, les télévisions, les intérêts du tournoi, répondre aussi aux doléances des joueurs, veiller à l’équité sportive. Ce sont des tableaux de progression dans le tennis. Les joueurs et les futurs adversaires qui sont amenés à se rencontrer, j’essaie de tâcher à ce que les récupérations en termes de repos soient un élément très important au cours des trois semaines pour qu’on puisse essayer de garder la progression la plus équitable possible. Après, la programmation d’un tournoi du Grand Chelem consiste à sortir le meilleur compromis chaque jour. Parce que chacun a des enjeux un peu différents. On a, comme vous le savez, plusieurs diffuseurs, de la co-diffusion, des diffuseurs qui ont de l’exclusivité sur certains courts. Tout ça fait que c’est une vraie petite machine à étudier chaque jour pour, encore une fois, satisfaire le plus de monde possible.
Vous travaillez à plusieurs ? Vous êtes seul ?
On travaille à plusieurs, bien évidemment. Je ne suis pas le seul à prendre la décision. Je suis en charge de la réglementation sportive du tournoi. Je suis en charge d’élaborer la programmation. Mais la programmation, elle se décide d’une manière collégiale. Bien évidemment, dedans, j’ai un vrai travail de préparation à faire avec la directrice du tournoi, Amélie Mauresmo. On a vraiment un vrai travail de complicité pour s’assurer que l’on propose la meilleure chose possible. Et ensuite, il y a des phases de consultation.
Je vais consulter les médias. Chaque jour, les télévisions me font les requests (demandes). L’enjeu est de satisfaire le maximum de requests, qu’elles soient françaises ou qu’elles soient aussi étrangères, en tenant compte aussi des spécificités des unes. C’est-à-dire que les requests qui viennent d’Australie ou d’Asie, il faut plutôt faire jouer certains joueurs en début de journée à Roland-Garros. Quand on tourne sur le continent américain, l’Amérique du Nord, c’est l’inverse, plutôt fin d’après-midi, voire soirée si possible. Tout ça, ce sont des choses qu’on a en tête, ce sont des mécanismes.
Et quand il y a quelque chose qui est un peu élaboré dans son ensemble, il y a une consultation avec la télévision, en l’occurrence avec nos directeurs médias à la télé de la Fédération Française de Tennis, et aussi les tours, l’ATP, la WTA avec qui on travaille pour discuter car ils sont amenés à gérer les circuits chaque semaine avec les joueurs. Ici, ils n’ont pas à gérer la responsabilité d’organiser un tournoi du Grand Chelem, parce que c’est finalement notre indépendance, nous organisateurs, d’avoir effectivement la maîtrise de ça. Mais ils sont complètement intégrés dans notre process de discussion, pour qu’on ait les meilleurs arguments, les meilleurs éléments, pour pouvoir faire en sorte que tout le monde soit aligné sur la programmation qu’on sort chaque jour.
Ça prend combien de temps pour faire la programmation d’une journée ?
Si on prend l’exemple en première semaine, quand on doit sortir la programmation du jeudi, les télévisions sont censées me fournir l’ensemble de leurs requests l’avant-veille, le mardi, pour que l’on puisse commencer à travailler avec Amélie (Mauresmo) sur l’approche du jeudi. Après, le mercredi matin, il y a cette consultation avec les télévisions, avec l’ATP, la WTA, etc.
Et quand vous parlez de doléances de joueurs, on sait que certains joueurs n’aiment pas jouer en night sessions ou sur certains courts, qu’ont-ils le droit de demander ? Quelles sont les limites ?
Ils peuvent demander ce qu’ils veulent, après ça ne veut pas dire que le tournoi va systématiquement dire Amen ou acquiescer dans leur sens, mais les joueurs peuvent avoir des préférences sur des terrains. Fondé sur quoi ? Fondé sur un historique, c’est-à-dire qu’il y a des joueurs ici qui ont gagné, qui ont perdu. Effectivement, ils ont des bons souvenirs, des souvenirs peut-être un peu plus malheureux, etc. Donc tout marque une carrière de joueur, donc c’est normal que ça nous revienne ici et qu’ils nous fassent part de leurs remarques, de leurs doléances. Après, un tournoi est très long, donc ça monte aussi en puissance. Sur les premiers tours, ils peuvent avoir effectivement des convictions, des doléances mais ils savent que plus ils vont aller dans le tournoi, plus certaines requêtes ne peuvent aboutir, parce qu’il y a des enjeux plus forts qui l’emporteront sur une requête plus personnelle. Donc voilà, je jongle toujours avec ce genre de choses.
Vous avez des souvenirs de requêtes ?
Il y a des joueurs qui aiment bien jouer sur le Chatrier, il y a des joueurs qui aiment bien jouer sur le Lenglen, il y a des joueurs qui n’aiment pas jouer sur le Chatrier ou le Lenglen sur un premier match, parce que les courts, je ne dirais pas ont leur spécificité, la terre est la même, les conditions de jeu sont proches et sont identiques, mais quand vous jouez sur le Chatrier, vous n’avez pas la même perception, vous n’avez peut-être pas les mêmes repères que quand vous jouez sur le court Suzanne Lenglen. Le Chatrier est un grand court qui impressionne, un des plus impressionnants sur la saison. Les joueurs capés ont l’habitude de tout ça. Les joueurs qui ont un peu moins l’habitude de ça, c’est sûr que ce sont des choses qui peuvent effrayer.
Et vous n’avez pas le souvenir de joueurs en particulier ?
Sincèrement, il y en a plein, mais à tout niveau. Après, il y a aussi des enjeux avec les coachs. Aujourd’hui, il y a des coachs qui encadrent plusieurs joueurs. Ils vont forcément me dire, “est-ce que tu peux mettre ma joueuse ou mon joueur pas au même moment, pas sur le même court ?” C’est un élément supplémentaire à prendre en compte.
Qui a la priorité là-dedans ? Les diffuseurs, les joueurs ?
C’est un ensemble. Sincèrement, j’ai une lecture très large de à quoi on doit répondre. Les télés, forcément, c’est très important parce que le spectateur veut se divertir en regardant un match de tennis à la télévision. Mais le public qui vient chaque jour ici, il faut aussi qu’il trouve son compte. On doit leur donner leur satisfaction. Après, il y a les enjeux du tournoi. La direction du tournoi, en particulier peut-être avec les joueurs français au début du tournoi, fait qu’on va peut-être sur faire un choix un peu ciblé sur des journées.
Sur les télévisions, les requêtes ne sont pas les mêmes tous les jours. On a notamment sur le week-end du milieu avec des enjeux peut-être plus forts sur le continent américain, par exemple, où il y a NBC qui fait un focus spécifique sur Roland-Garros pendant trois jours. On sait que cet enjeu est super important de l’autre côté de l’Atlantique. On essaie de faire en sorte de trouver aussi un truc satisfaisant pour eux.
J’ai cru comprendre que vous avez un logiciel pour vous aider de ça. Vous pouvez nous en dire plus ?
C’est un outil qui a été développé il y a trois ou quatre ans, qui nous accompagne, qui nous aide à rentrer à un certain nombre de choses. Toutes les requêtes médias sont intégrées directement dans le système. J’ai directement ça dans la machine. Ce que je vous disais par rapport aux coachs qui ont plusieurs joueurs, les requêtes de joueurs, les enjeux, la répartition des terrains entre les simples et les doubles, etc. Tout ça est dans le système. Et quand je suis amené à travailler sur un draft, un prévisionnel, j’ai des indicateurs ou des choses qui me facilitent le travail.
Je dirais que ça me permet de passer moins de temps qu’un juge-arbitre mettait peut-être par le passé, où il y a encore quinze ans, où on faisait tout à la main avec nos tableaux, nos crayons, nos gommes, etc. On est dans un univers beaucoup plus performant, beaucoup plus sécurisé. Après vient la phase où vous avez les épreuves de double qui attaquent. Les joueurs sont impliqués dans plusieurs épreuves. Si tu as un joueur ou une joueuse qui est amené(e) à jouer deux parties dans la même journée, forcément, ça a une incidence sur le programme.
Et l’outil peut se charger de répartir ?
Il y a des flags, des alertes. Je ne vais pas mettre un double avant son match de simple. En termes de repos aussi, ça va me calculer les repos. Pour nous indiquer qu’un joueur qui joue une journée, que j’envisage de reprogrammer le lendemain, s’il joue plutôt en fin de journée, si je le remets en première ou deuxième rotation le lendemain, il y a un calcul de temps de repos. Je vais être “flaggé” (alerté).
Donc là, c’est vous et Amélie Mauresmo qui prenez la décision.
C’est ça. Et quand la décision collégiale est faite, on l’envoie toujours au président de la fédération, Gilles Moretton, qui a un oeil systématiquement chaque jour pour donner son avis. Le juge-arbitre, la directrice du tournoi, on est alignés entre les trois. On n’ira pas à l’encontre de ce que le président veut. Avant que j’arrive à ce stade-là, on a aussi une phase de consultation avec lui pour savoir s’il est d’accord avec ce qu’on lui propose. Encore une fois, il va se baser sur nos arguments, nos échanges, nos discussions. Il y a une analyse objective de la proposition sportive qui est faite chaque jour avec les petits points de frustration parfois qui vont pouvoir surgir. Parce qu’un jour, on va considérer peut-être qu’il y a un diffuseur qui est peut-être plus avantagé qu’un autre. Le lendemain, ce sera l’inverse. Après, la position des joueurs font que, peut-être plusieurs fois, on va avoir des joueurs qui vont être programmés plutôt en fin d’après-midi parce que le tableau est articulé d’une certaine manière où il va jouer certains adversaires et il y a certains matchs qui ne se positionnent pas à tel moment. Il y a une multitude de choses qui font que ça rumine tout le temps.
Ça doit être compliqué de contenter tout le monde. Le soir, quand vous vous couchez, vous ne vous dites pas “ça a été compliqué aujourd’hui”.
Ce qui est amusant, c’est qu’il y a des enjeux très forts en début de tournoi quand le tirage au sort est fait. A Roland-Garros, on joue notre premier tour sur trois jours, le dimanche, le lundi, le mardi. Au début du tournoi, on va établir quelles sont les parties de tableau qui vont jouer tel jour et quelles sont les parties de tableau qui joueront l’autre jour. Et ça a une incidence sur les projections qu’on a, sur les potentiels huitièmes, quarts de finale, demi-finales. On sait que si les meilleurs joueurs vont le plus loin possible, ils sont censés se retrouver à tel ou tel stade de la compétition. Et qu’en fonction de la programmation prévisionnelle telle qu’elle a été présentée, on a déjà des idées. On sait que ce match-là, potentiellement ce quart de finale, on sait que ça peut être un quart intéressant pour un match de soirée ou un troisième match de journée sur le Chatrier. Donc on a cette lecture par anticipation, qui est aussi démolie et réajustée parce qu’on ne maîtrise pas les résultats sportifs.
On va perdre des têtes en cours de route, il va y avoir des surprises, il va y avoir un storytelling d’un joueur ou d’une joueuse qui n’était pas dans le pipe au début et puis finalement qui devient un peu la coqueluche sur qui il faut apporter une considération, une attention particulière. Mais ce qui est challengeant, c’est que chaque jour, on remet une pièce dans le jukebox pour repartir sur un truc de nouveau. C’est excitant.
Vous êtes quelqu’un d’assez discret, on vous entend assez peu en général. Est-ce que votre bureau est ouvert aux joueurs ? Est-ce que les joueurs peuvent venir vous voir ? Est-ce que vous les voyez régulièrement ?
Les joueurs peuvent venir, les coachs peuvent venir. Oui, j’ai des joueurs qui viennent, mais il n’y a aucun problème. Je suis là pour ça, ça fait partie du jeu. C’est mon rôle.
Quand ils ont une requête, ils viennent directement ici ou ils la transmettent par…
Soit ils passent par les tours, donc l’ATP et la WTA peuvent me faire la requête. C’est le coach qui peut venir, c’est l’agent du joueur qui peut aussi venir. Je suis à la disposition de tous.
Et il faut être diplomate.
Il faut être mesurer, il faut se tenir. C’est ça qui est difficile à comprendre vis-à-vis de l’extérieur, vis-à-vis du lecteur, vis-à-vis du spectateur, du téléspectateur. Quand on n’a pas l’ensemble des règles du jeu et de l’échiquier, on peut porter des fois des jugements “Je ne comprends pas pourquoi le tournoi a pris cette decision”. Mais, derrière, il y a toujours des explications et des arguments à l’appui qui font qu’on a pris cette décision-là parce qu’on a dû s’appuyer sur ça, ça, ça, ça, ça, ça. Je ne dis pas qu’on ne fait pas des erreurs. On peut être amené à faire des erreurs. Mais encore une fois, je dis qu’on croit que c’est le meilleur compromis. On pourrait sortir deux ou trois prog différentes pour une journée. Après, c’est comment on arbitre le truc au final.
En plus de la programmation, quelles sont tes autres fonctions pendant le tournoi ?
C’est d’obéir à ce que les règles sportives soient respectées correctement. Concrètement, il faut que je puisse être équitable vis-à-vis de l’ensemble des joueurs. Pas privilégier plus un joueur qu’un autre. Ça, c’est super important. Et puis après, veiller à ce que l’arbitrage se passe bien, que le travail des ramasseurs se passe bien. Tout ce qui se passe sur la zone de jeu, en dernier ressort, j’en ai la responsabilité.
Hier, il y a eu un incident avec une ramasseuse de balles, par exemple. Vous étiez ici, dans le bureau ?
J’étais dans le bureau quand ça s’est passé. J’ai dû rentrer sur le terrain pour disqualifier la joueuse.
A controversial ending to a women’s doubles match as Kato/Sutjiadi were disqualified for hitting a ball girl ❌ pic.twitter.com/qaFHF8UpnT
— Eurosport (@eurosport) June 4, 2023
Les équipes pour aider le juge-arbitre Rémy Azémar à Roland-Garros
Mais j’ai l’impression que c’est plutôt rare. Normalement, ce ne sont pas les superviseurs qui vont sur le terrain ?
Alors, le fonctionnement en Grand Chelem est le suivant : vous avez donc le juge-arbitre, qui est mon rôle. Après, j’ai effectivement une équipe de superviseurs de Grand Chelem qui sont entre 6 et 8, qui sont mes yeux, mes relais sur le terrain. Sur les courts majeurs, donc Chatrier, Lenglen, Mathieu, j’en ai un en permanence qui suit systématiquement tous les matchs. Après, sur les courts annexes, j’ai une autre partie des superviseurs qui tournent, donc qui couvrent 2, 3 terrains, et qui interviennent pour des histoires de logos, de tenues vestimentaires par réglementaires, pour décider sur des incidents, des faits de jeu, où il y a un point de règlement qui doit être tranché, ce sont eux qui interviennent, qui décident ça, donc finalement, ils font ce travail-là, et moi malheureusement, j’interviens vraiment dernier ressort, quand on est vraiment sur des cas très sensibles, graves, comme le cas malheureux d’hier soir, où c’est une disqualification, où je dois aller sur le court. En l’occurrence, imon superviseur de Grand Chelem était là-bas avant moi, je suis arrivé derrière, et puis on a fait l’histoire pour prendre la décision qui devait être prise. Mais généralement, tout ce qui est intervention pour blessures, vous voyez systématiquement les kinés ou les médecins qui rentrent sur le terrain, vous avez un superviseur qui est là pour monitorer que l’intervention soit maîtrisée dans les temps impartis, que les trucs soient faits dans le cadre de nos règlements et de nos procédures.
Ce sont mes yeux, parce que je n’ai pas le temps de regarder les matchs en permanence, parce que la programmation me prend beaucoup de temps. Ici, c’est toujours le défilé, comme chez le bureau du médecin. Il y a toujours des gens qui viennent, qui ont toujours des choses à vérifier. Après, j’ai des équipes. J’ai trois juges arbitres adjoints aussi, qui m’aident sur tout un sujet opérationnel. Les joueurs, quand ils sont appelés pour aller sur leur court, il y a des escortes qui les accompagnent, on s’assure bien que les joueurs partent bien, par rapport à ce que les télés demandent en termes d’entrée sur le terrain, avec des “walk-on” très précis. Tout ça est vraiment très anticipé, préparé en amont. Et là, moi, j’ai besoin d’avoir des équipes qui maîtrisent ce truc-là, pour que les choses se fassent le plus proprement possible.
Vous êtes au sommet de la pyramide, il y a combien de superviseurs ?
Il y a trois juges arbitres adjoints, j’ai huit superviseurs de Grand Chelem, après, au niveau arbitrage, il y a une quarantaine d’arbitres de chaises, qui sont drivés par un chef des arbitres, qui est justement chargé de driver les arbitres de chaise plus les juges de lignes. Donc, c’est une population de 340 personnes, au total, où tous les juges de lignes sont désignés chaque jour sur des lignes précises, par rapport à leur capacité, au terrain. Les arbitres de chaise, pareil. Le chef des arbitres, chaque soir, fait ses désignations, ses propositions d’arbitre de chaise, pour tel ou tel match, qu’il me propose en fin de journée pour que je valide et qu’on soit d’accord sur ce qui est prévu.
Un joueur a-t-il le droit de demander une préférence sur les arbitres ?
Non, j’ai pas eu d’expérience sur Roland-Garros. J’en suis à ma sixième années sur ce poste-là, j’ai pas le souvenir d’avoir eu un joueur être venu me voir en me disant “je ne veux pas cet arbitre”. De toute façon, ce n’est pas lui qui décide. Là aussi, il y a un travail, pas d’anticipation, mais ces arbitres de chaise sont les arbitres qui tournent sur le circuit tout au long d’année, donc ils ont l’habitude d’arbitrer ces joueurs. S’il se passe quelque chose, ou s’il y a un incident, ou s’il y a un jour un match qui ne se passe pas très bien, on a connaissance de tout ça, donc c’est à nous de savoir prendre la température avant de faire une désignation. On a l’habilité d’aller contrôler et de savoir. On a plusieurs choix pour faire en sorte de s’éviter ce genre de situation, si la situation est amenée à se présenter.
Comment on devient juge-arbitre d’un tournoi du Grand Chelem ?
Je le prends comme étant un privilège, une chance. C’est une sorte de jouet pour moi. Chaque année, quand on voit se transformer ce stade, quand on ouvre les portes et que les joueurs arrivent et qu’on est à 35 000 personnes chaque jour, c’est quelque chose de merveilleux, c’est un long process. Moi, j’ai commencé en tant qu’arbitre de chaise quand j’étais jeune, dans mon club, et puis j’ai gravi un certain nombre d’échelons. Au niveau arbitrage de chaise, j’ai arbitré pendant quelques années, puis après j’ai plafonné, j’ai senti qu’il y avait un cap que je ne passerais pas.
Et la partie un peu plus organisationnelle de l’événement est quelque chose aussi qui m’a toujours un peu attiré, donc j’ai basculé là-dessus assez rapidement. J’ai eu la chance de rentrer dans cette maison en 2000, après les Jeux Olympiques de Sydney, au département arbitrage. J’ai vraiment appris step by step, j’ai fait 10 ans de championnats de France ici, qui sont pour moi un support modèle. Il n’y a pas le même niveau, pas la même pression, etc. Mais on retrouve concrètement un peu les mêmes mécanismes en termes de programmation, c’est-à-dire que vous gérez des joueurs, des joueuses qui sont impliquées dans plusieurs tableaux, la programmation se fait de la même manière, avec beaucoup de matchs à programmer chaque jour, donc j’ai énormément appris là-dessus.
Et puis, petit à petit, le fait d’intervenir sur des tournois internationaux, on se fait une expérience. Avant qu’on me donne la possibilité de devenir juge-arbitre ici, j’avais fait 10 ans à côté de Stefan Fransson, qui était mon prédécesseur au commande, et j’ai travaillé à ses côtés pendant 10 ans. J’ai appris aussi énormément sur cette fonction-là. Donc ça ne s’improvise pas du jour au lendemain. Je savoure chaque aspect.
Il n’y a pas une qualification spéciale. Je sais que les juges de ligne, les arbitres passent des échelons.
Oui, au niveau juge-arbitrage, pareil, il y a trois badges. Au niveau international, il y a trois qualifications. Il y a une qualification qu’on appelle badge blanc, puis un badge argent et un badge or. Forcément, la qualification la plus haute est le badge or. Et ça, on le passe dans le cadre de ce qu’on appelle des écoles internationales. C’est-à-dire qu’il y a des écoles où on rassemble les meilleurs candidats de certains continents, où on est examiné, testé par rapport à nos procédures, aux règles, qui sont différentes d’une compétition à une autre. Ça permet d’acquérir ce badge-là, et après, il y a l’activité sur le terrain. Pour garder ce badge, il faut effectivement travailler un certain nombre de semaines sur l’année, dans des catégories de tournois qui correspondent à notre qualification, pour la maintenir.
Rémy Azémar revient sur son premier cas de disqualification
En six ans de juge-arbitrage à Roland-Garros, as-tu un souvenir d’une situation particulièrement stressante, où tu n’étais pas forcément prêt ?
Il y a toujours un petit stress permanent qu’on n’essaie pas de montrer. Il y a toujours cette petite musique ou ce petit point dans ma tête qui me dit qu’il faut vraiment que je sois préparé à gérer la situation par ce qui peut arriver dans deux minutes, ou demain, ou après-demain. C’est une éternelle mobilisation. Hier notamment, le cas de la disqualification. J’étais en réunion avec je ne sais plus qui, puis le comptoir m’a appelé. On a un sujet sur 14, il faut que tu y ailles.
Ça a été dur de trancher ?
J’ai mis 6 minutes pour aller jusqu’au 14, qui est à l’autre bout stade. J’ai aucun élément, je ne sais pas ce qui s’est passé. Quand vous arrivez sur le terrain, on vous attend. C’est là qu’il faut avoir les éléments décisifs, ce que vous constatez sur le terrain pour juger et prendre la décision qui doit être la bonne décision. Parce qu’on sait que si la décision n’est pas correcte, derrière il y aura des suites. Il va falloir se justifier.
Vous avez discuté avec la petite japonaise ?
Je l’ai reçue hier après-midi avec sa partenaire. On a discuté longuement. Ça ne m’était pas arrivé encore. Je n’avais pas eu de disqualification ici à Roland-Garros. Ce n’est vraiment pas un moment agréable pour le joueur. Pas un moment agréable pour le juge-arbitre. Ce sont des choses qu’on ne souhaite absolument pas dans notre fonction. Mais on est là pour la faire quand ça doit arriver. Il faut prendre son temps. Je sais qu’on a mis beaucoup de temps sur le terrain. Mais s’il y avait disqualification, le match ne continuerait pas. Il faut prendre les minutes qu’il faut et ne pas être trop rapide. C’est important de rediscuter à froid avec les gens concernés. Pour qu’ils puissent bien comprendre les conséquences que ça a. La suite qui est donnée. La protection si besoin. Pour elle, je l’ai exempté d’une conférence de presse. On ne s’était pas rencontrés après sa sortie du court. Je voulais qu’elle comprenne bien pourquoi j’ai été amené à prendre cette décision.
Elle a compris ?
Oui, elle a compris. C’est un accident. C’est un cas malheureux qui n’était pas intentionnel. C’est ce qu’on explique. Dans le tennis, le joueur ou la joueuse émettent des actions. Et après, il y a le résultat. C’est l’analyse du résultat qui fait que ça peut aller à l’extrême. Ce qui a été le cas hier par rapport à cette jeune ramasseuse. Un jet de balle qui va sortir du terrain sans toucher personne est aussi un jet de balle mais contrairement à celui d’hier sur la ramasseuse, les deux résultats sont complètement différents. Les décisions et les sanctions ne sont pas les mêmes.
Il y a un point de règlement qui explique qu’elle doit être en maîtrise.
Le joueur a la responsabilité de ses actes et de ses gestes. Le tennis est un sport compliqué. Il faut se contenir en permanence. Il y a cette frustration. Il y a ce rejet à un moment donné. C’est très psychologique. Il y a des limites à ne pas dépasser qui sont réglementées. On peut laisser de la souplesse à un certain moment s’il n’y a aucun danger autour. Il faut retenir que chaque situation est différente. L’environnement est différent. »
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