Partager la publication "De Top 100 à sparring-partner : entretien savoureux avec Guillaume Rufin"

Guillaume Rufin a été 81e mondial en septembre 2013, à 23 ans. Deux années plus tard, en 2015, le joueur français, miné par des blessures récurrentes aux abdominaux, mettait fin à sa carrière professionnel. Aujourd’hui, le natif de Viriat suit des études de kiné et le tennis représente une petite partie de sa vie. Sans aucune aigreur, ni rancune, Rufin endosse désormais régulièrement le costume de sparring-partner à Roland-Garros et à Bercy. Tennis Legend a rencontré l’ancien membre du Top 100 au Rolex Paris Masters 2018. L’occasion de revenir sur sa courte carrière et sur son expérience en tant que partenaire d’entraînement.
« – Peux-tu revenir sur les raisons qui t’ont poussé à arrêter ta carrière deux ans après avoir atteint le Top 100 ?
Cela s’est passé progressivement. J’ai eu un parcours un peu compliqué dès que j’ai commencé à ne faire vraiment que du tennis. Je me suis fait opérer d’une hanche à 19 ans, puis de la deuxième à 21 ans. Malgré cela, j’ai réussi à monter au classement. J’avais mon projet bien en tête, puis j’ai enchaîné une succession de lésions aux abdominaux. J’en ai fait six entre 2014 et 2015. Je passais trois-quarts de mon temps chez le kiné et cela m’a usé mentalement. Je faisais les efforts pour revenir, pour me rééduquer, pour me réentraîner et j’enchaînais les déceptions. Sentir que l’on peut très bien jouer et que l’on est limité par son corps est assez difficile à gérer. A la fin, je n’avais plus envie de lutter et de faire les efforts.
– Tu as touché le premier objectif de tous les joueurs de tennis professionnels en atteignant le Top 100 et, deux ans plus tard, tu choisis d’arrêter ta carrière. Elle doit être dure à prendre cette décision.
Oui, mais cela s’est fait naturellement. Je ne voulais plus m’entraîner et c’est trop difficile d’atteindre ce niveau sans entraînement. Une des seules saisons pleines que j’ai faites, où j’ai pu jouer entièrement à fond, j’ai réussi à monter Top 100, mais on parle d’une saison sur sept.
– Quel est le meilleur souvenir de ta carrière ?
Mon premier Roland, en 2009. J’avais 19 ans. J’étais 600 ATP à l’époque. J’étais nouveau sur le circuit. Je jouais pas mal sur les Futures. J’avais gagné un 15000$ en battant des bons mecs et la Fédération m’avait donné une Wild Card. J’avais réussi à battre Eduardo Schwank, qui était vraiment pas mal sur terre, en trois sets secs (6/1, 6/3, 6/3). Personne ne m’attendait et j’avais sorti un match de dingue.
– Ton plus mauvais souvenir ?
Sur la fin de ma carrière, je revenais d’une lésion aux abdominaux, et je jouais pas mal. Je fais les qualifications d’un Challenger, je sors des qualifs, et j’arrive en finale. Je me suis dit : « Putain, je suis bien, je joue bien » et je me repète les abdos au bout de quatre jeux en finale. J’ai pris un coup de massue derrière la tête. Cela voulait dire deux mois d’arrêt à nouveau et c’était très dur.
L’anecdote amusante avec Gaston Gaudio
– Tu as pas mal joué sur les Futures et Challengers, tu dois bien avoir des anecdotes à raconter.
Il y en a toujours. En revenant de blessure, j’étais allé jouer un Future en Algérie et les conditions de jeu étaient vraiment particulières. On se faisait escorter par la police en bus. Avec le recul, c’était vraiment n’importe quoi ce tournoi. J’avais gagné là-bas donc cela reste un bon souvenir. On avait joué en Egypte aussi dans un club un peu improbable. Il y avait un centre de tir juste à côté et cela mettait un bordel de dingue.
Je me rappelle aussi d’un match contre Nicolas Massu sur un Challenger au Chili. Pour moi, Massu, c’était les Jeux Olympiques (médaillé d’or en simple et en double à Athènes, en 2004), c’était un grand joueur. Je me blesse au début de la rencontre, mais il avait été tellement nul que j’avais réussi à le battre en étant vraiment sur une jambe. Je ne sais pas ce qu’il avait ce jour-là mais je m’étais dit ça n’allait pas très fort.
J’ai une autre petite anecdote au premier Challenger que je gagne (A Florianopolis, au Brésil, en 2009). Après ma demie, je regarde un peu l’autre match qui oppose Gaston Gaudio, un sacré nom, à Pere Riba pour voir ce qui m’attend le lendemain. Gaudio faisait des points de dingue au début. Il avait fait le break, il était monstrueux et, avec son humour noir et sarcastique, il me regarde et dit : « regarde ce qui t’attend demain ». Je rigole un peu, puis je rentre à l’hôtel, et en arrivant je vois qu’il a pris 2 et 2 en 1h10.
“Rafa, Djoko sont des monstres.”
– Aujourd’hui, que représente le tennis pour toi ?
Honnêtement, c’est 3% de ma vie aujourd’hui. Je fais sparring à Bercy, j’adore. La Fédération me propose chaque année et cela me permet de voir plein de monde. Je joue un peu les matches par équipes avec le TCBB (Boulogne-Billancourt), les matches par équipes en Allemagne et en Italie, mais je ne joue plus du tout de tournoi, et je ne m’entraîne pas. J’aime bien regarder du tennis, cela m’intéresse vraiment, et je prends du plaisir à jouer ici, mais aucune chance que je m’investisse sur des entraînements.
– Tu es encore jeune. Tu as 28 ans. Tu as totalement enterré l’idée d’un retour ?
Pour rejouer, il faudrait que j’aie envie d’aller m’entraîner, de jouer, et d’y retourner. Je ne sais pas si je me suis habitué à un rythme de vie un peu moins contraignant, mais je ne me vois pas du tout reprendre aujourd’hui.
– Sachant, encore une fois, que tu as été 81e mondial, es-tu impressionné par les joueurs quand tu tapes la balle en tant que sparring ?
Certains m’impressionnent, d’autres un peu moins. J’ai joué avec Thiem. Sa frappe et son jeu m’impressionnent. J’arrive à jouer avec lui mais je sens qu’il me mettrait à la rue en une frappe si on faisait des points. Je trouve aussi qu’il y a un gros écart de niveau entre les tops joueurs et ceux qui entrent tout juste dans le tableau à Paris. Rafa, Djoko sont des monstres, des machines. Sur chaque frappe, ils sont à 200% et on ne retrouve pas ça chez tous les joueurs. Rafa, il peut gagner 11 fois Roland et j’ai l’impression qu’il aura toujours cette envie, cette motivation sur chaque balle de bien faire, et je trouve ça hallucinant.
“C’est presque plus facile de s’entraîner avec Thiem qu’avec une fille.”
– As-tu en tête une heure de sparring où tu ne sentais rien du tout et tu ne mettais pas une balle dedans ?
Cela m’est arrivé à Roland-Garros la première ou la deuxième année. Je n’avais pas joué depuis trois mois et je suis arrivé à un practice sur le Suzanne Lenglen avec une fille, dont je ne me rappelle pas le nom et je n’avais pas mis une balle. La pauvre. En plus, c’est un peu particulier avec les filles. Il ne faut pas jouer trop lifté, il ne faut pas jouer trop bas, il ne faut pas jouer trop vite. Globalement tous les joueurs sont cool et je n’ai eu aucune mauvaise expérience car ils sont compréhensifs. Ils savent qu’on est là pour eux et ils sont sympas.
– Quand tu joues avec une fille, est-ce le coach qui te demande de changer ta façon de jouer ?
On le sait déjà à l’avance. De base, j’ai tendance à frotter pas mal sur terre, à jouer très fort bombé et je sais que c’est mort si je fais ça. La fille ne pourra pas jouer et elle risque de ne pas être contente. Avec Suarez Navarro, avant de commencer, son coach, super sympa, vient me voir et me dit : « S’il te plaît, ne joue pas trop haut, pas trop loin d’elle, ne joue pas trop vite et ne joue pas trop bas ». C’était marrant. On faisait des diagos et ce n’est pas si simple que ça car les filles jouent assez vite et c’est dur de réfléchir à chaque frappe à sa qualité de balle. Il faut avoir un bon feeling et comme je ne m’entraîne plus trop, c’est presque plus facile de m’entraîner avec Thiem, où j’arrive à m’appuyer sur sa qualité de frappe, qu’avec une fille où je vais devoir presque freiner mes coups et me dire il faut que je joue comme ça.
– As-tu en tête un joueur que tu as affronté sur des Futures ou des Challengers et tu es aujourd’hui surpris qu’il soit arrivé à ce niveau-là.
Un mec comme Dzumhur peut-être. Franchement, il m’a toujours battu. J’étais son pigeon, mais je ne pensais pas qu’il monterait aussi haut. Je n’ai jamais compris comment le jouer et comment le battre, mais je trouve ça énorme d’arriver là avec son gabarit. Je pense aussi à Schwartzman. Je l’ai joué une fois. Je l’avais trouvé bon mais avec sa taille, je trouve ça monstrueux d’arriver à un niveau comme ça. Malgré tout, ils partent avec un handicap au service qui est assez important surtout que les grands bougent plutôt bien maintenant. Eux, ils doivent jouer tous les points. Je n’aurais pas forcément parié ma maison dessus de les voir ici aujourd’hui. »
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1 COMMENT
Merci Guillaume pour ton interview très intéressant ! ?