Partager la publication "Nicolas Mahut : « Aujourd’hui, je ne vois pas un joueur faisant service-volée arriver dans le Top 10 »"

Match légendaire face à John Isner, titres du Grand Chelem, pire moment en carrière, évolution du jeu, Nicolas Mahut, numéro 3 mondial en double, a répondu à la volée aux questions de Tennis Legend, lors du tournoi Challenger de Bordeaux 2019. Entretien.
« – En prenant un peu de recul, quel moment fort retiens-tu dans ta carrière ?
A titre personnel, ce sont mes victoires en Grand Chelem. Mais je pense que c’est surtout mon match contre John Isner qui a marqué le grand public [Ndlr : le plus long match de l’histoire du tennis au premier tour de Wimbledon 2010]. Quand j’arrêterai ma carrière, les gens se souviendront avant tout de ce match-là.
“J’étais en complet décalage complet avec les gens.”
– On t’en parle encore beaucoup ?
Oui. Par exemple, quand je suis aux Etats-Unis, je remarque que les gens me connaissent à travers à ce match. Finalement, je me suis rendu compte que beaucoup de personnes se souviennent de ce qu’ils faisaient pendant ce match. C’est un petit peu comme moi, je me souviens de ce que je faisais pendant la finale de la Coupe du Monde 1998. A chaque fois que les gens évoquent ce match, ils me disent : « Ah, j’étais à un barbecue ! Ah, j’étais au travail, je suis revenu chez moi ! ». Les gens ont vraiment associé ce match avec un moment de leur vie. C’est marrant.
– Comment l’as-tu vécu sur le moment, et comment le vis-tu maintenant avec plus de recul ?
Sur le moment, je l’ai très mal vécu parce que j’étais en complet décalage entre ce que les gens avaient vécu au bord du court et ce que moi j’avais ressenti. Quand je suis arrivé en conférence de presse et pendant quelques jours après le match, il n’y avait que très peu d’intérêt pour le vainqueur du match. Finalement, les gens parlaient plus de ce qu’on avait démontré sur ces trois jours : le fait que l’on ait repoussé nos limites, que l’on ait fait un match extraordinaire, non pas en qualité, mais en termes de scénario et de dramaturgie. Mais moi j’étais vraiment sur le résultat car je savais que je n’allais plus jamais disputer un match comme ça. Et puis j’avais poussé mes limites si loin que je sentais que je pouvais jouer des jours et des jours, alors perdre ce match a un peu tout cassé à ce moment-là. J’étais vraiment en décalage avec les gens autour de moi.
– Y a-t-il un moment dans ta carrière où tu considères que tu n’es pas passé loin d’écrire une histoire de légende ?
Il y a ce match contre John Isner où, finalement, on retient plus le match que le vainqueur. Sinon, ma finale du Queen’s contre Roddick [Ndlr : en 2007. Nicolas Mahut a gagné 4 titres en simple dans sa carrière en 6 finales. Il a été 35e mondial, son meilleur classement, en 2014] me vient à l’esprit. J’ai une balle de match, j’ai un coup droit assez facile pour gagner et faire partie de ces légendes car il n’y a quasiment que des légendes qui ont gagné ce tournoi. Cela aurait peut-être pu changer quelque chose chez moi.
– Tu mentionnais tout à l’heure tes victoires en Grand Chelem. Si tu devais en choisir une, laquelle prendrais-tu ?
C’est vraiment très dur car elles ont toutes un charme différent. L’US Open était le premier et je pensais à un moment donné que je n’allais jamais en gagner un : j’avais perdu une finale à Roland-Garros (2013) et j’avais perdu une finale en Australie (2015). Donc je me suis dit que, peut-être, je n’y arriverai jamais. Le fait d’avoir gagné l’US Open a été un vrai soulagement. Un vrai moment de bonheur. Après, bien sûr, il y a Roland-Garros où il y avait ma famille, mes amis, mon fils qui est venu sur le court. Je m’en souviendrai toute ma vie. Ensuite, mon rêve en tant que joueur de tennis était de gagner Wimbledon et j’y suis parvenu. Et puis l’Open d’Australie, c’était le dernier qui nous manquait, alors… Elles ont toutes une saveur particulière, mais le fait de pouvoir partager une victoire avec ma famille est vraiment quelque chose d’inoubliable.
[Ndlr : Nicolas Mahut a donc gagné les 4 tournois du Grand Chelem en double, mais également 6 Masters 1000 et il a été n°1 mondial de la discipline]
» Idée cadeau : le t-shirt Tennis Legend Inbreakable
– Quel est le pire moment de ta carrière ?
Mes défaites en Coupe Davis. Je pense notamment à la rencontre face à la Grande-Bretagne au Queen’s. Je pense que l’on a très mal préparé cette rencontre. On n’a pas été à la hauteur de la confiance de notre capitaine. Je m’en veux énormément sur cette rencontre de ne pas avoir su discuter davantage avec Jo [Ndlr : Tsonga]. En plus, il s’est avéré que, même avec un contrat d’encore un an, c’était la dernière rencontre en tant que capitaine d’Arnaud Clément. Et je me sens assez responsable de ça. Cette défaite a été très douloureuse et cela a été très difficile de la digérer.
– Quel est le plus beau point de ta carrière ?
Il y a des points qui me reviennent en tête où je plonge, comme en finale du Queen’s où je plonge deux fois. Il y a aussi ce point en double avec Julien Benneteau où je sors du terrain, même si on finit par le perdre. Finalement, le point qui restera ce sera peut-être la balle de match de la finale de l’US Open avec Pierre-Hugues Herbert. Il fait un point extraordinaire. Moi, à ce moment-là, je savais qu’on se rapprochait de la victoire et je n’arrivais plus du tout à jouer. Je n’arrivais plus du tout à être dans le moment présent, j’étais focalisé sur l’idée qu’on allait peut-être gagner. Et Pierre-Hugues fait une balle de match extraordinaire, donc je me souviens beaucoup de celui-là.
Le point en finale contre Roddick au Queen’s en 2007
Le point où Mahut frappe une balle depuis les tribunes
– C’est drôle de voir que le point que tu retiens n’est finalement pas le « tien ».
J’étais à côté de lui, mais j’ai dû toucher la balle une fois ou deux [ndlr : deux fois] et Pierre-Hugues fait un point fantastique. Et heureusement d’ailleurs car j’étais incapable de le faire.
La balle de titre à l’US Open 2015
“Vers un service-volée de variation.”
– Parlons de l’évolution du tennis, un sujet intéressant à aborder avec toi car tu as un jeu porté vers l’avant, ce qui devient assez rare. Comment vis-tu le changement qu’a connu le tennis avec un jeu bien plus porté sur le fond de court, un tennis plus physique, plus puissant ?
C’est toujours une question de cycle, et j’espère qu’on reviendra à ce qui pouvait exister il y a une quinzaine d’années. Moi, mes modèles étaient Edberg, Sampras, Becker, Rafter, beaucoup de joueurs offensifs. Les surfaces se sont ralenties aussi, même à Wimbledon. C’était une vraie demande du public pour améliorer le spectacle vu que les serveurs frappaient de plus en plus fort. Finalement, le tennis a énormément évolué au niveau physique. Cela se voit quand on regarde le niveau d’intensité des matches. Les jeunes qui arrivent sur le circuit ont pour modèles Djokovic et Nadal, donc ils reproduisent ce qu’ils ont vu à la télévision. Je ne sais pas comment cela va évoluer car les joueurs prennent la balle de plus en plus tôt, sont de plus en plus physiques, servent plus fort, se déplacent mieux. Je suis assez curieux de voir comment cela va évoluer. Pour l’instant, on n’a pas eu d’évolutions majeures depuis quinze ans sur le matériel. Peut-être qu’il y aura des changements, comme on est passé des raquettes en bois puis au métal, puis au graphite. A un moment donné, on y arrivera.
– Penses-tu qu’il faudra attendre aussi l’arrivée d’un vrai spécialiste du service-volée pour avoir un changement de cycle ?
En l’état actuel des choses, je ne vois pas un joueur faisant service-volée sur les deux balles arriver dans les dix premiers. J’aimerais beaucoup me tromper à ce sujet. Mais je pense qu’il va y avoir à un moment donné un retour de ce genre de joueurs, mais ce sera plus en variation, pour casser le rythme du match. On devrait aussi atteindre une limite dans la prise de balle précoce et d’intensité physique, donc ce serait logique de voir des joueurs monter à la volée pour contrer et casser le rythme. Mais les joueurs qui le feront ne seront pas des spécialistes du service-volée comme on a pu en connaître. Cela sera plus du service-volée de variation. »
Interview réalisée par Pierre Ledoux, à Bordeaux.
//php echo do_shortcode( "[yuzo_related]" ); ?>