Partager la publication "Interview excellente du Colombien Robert Farah, n°1 mondial en double"

Robert Farah est très peu connu en France. Pourtant, le Colombien est actuellement le meilleur joueur de double de la planète. Avec son compatriote Juan Sebastian Cabal qu’il connaît depuis son enfance, il a remporté 16 titres sur le circuit (5 en 2019 !), dont Wimbledon et l’US Open en 2019, et les deux compères se sont hissés à la première place du classement ATP en double. Des performances historiques pour le tennis colombien. D’origines libanaises, le joueur né en 1987 parle couramment français. Il a d’ailleurs étudié au Lycée Français de Cali où sa mère, ancienne joueuse de volley-ball, enseignait. Ces différentes raisons nous ont donné envie d’en savoir plus l’histoire et le parcours de Robert Farah Maksoud et nous l’avons interviewé au Rolex Paris Masters 2019. Un entretien de qualité.
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« Tu es né à Montréal, tes parents sont Libanais, et tu es Colombien. Peux-tu nous raconter ton histoire car on ne te connaît pas bien en France.
Comme tu l’as dit, mes parents sont Libanais, mes grands-parents aussi. Mon grand-père jouait au tennis et il a joué la Coupe Davis pour le Liban (Ndlr : dans les années 1950). Mes parents et ma sœur ainée ont émigré au Canada pour fuir les guerres et les conflits au Liban et je suis né là-bas. Mon grand-père vivait déjà en Colombie et ma famille est allée le rejoindre quand j’avais trois mois.
Mon père est prof de tennis. Il a été joueur mais pas aussi bon que mon grand-père. Il était classé -30 en France (ndlr : quand même ! Papi devait vraiment jouer l’acier). Il a été formé en France par la fédération française, puis il a entraîné à la fédération canadienne, et il a créé une académie à Cali, en Colombie.
Comment fonctionne le tennis en Colombie ? As-tu toujours fait partie des meilleurs joueurs ?
J’ai commencé le tennis à 3 ans et j’ai toujours adoré ce sport. Tout petit, je prenais la raquette et je voulais toujours taper une balle. Mon père était mon prof et, depuis l’âge de 7/8 ans, j’ai toujours fait partie des meilleurs en Colombie. A 11 ans, j’ai intégré l’équipe sponsorisée par Colsanitas. Le sponsor a créé une équipe avec les meilleurs jeunes de Colombie et cela fonctionnait comme une fédération. Tout était payé, les entraînements etc., mais il s’agissait d’un sponsor privé. Cela existe toujours et cela permet d’apporter des bons joueurs dans le circuit professionnel.
“Le quarterback, c’est le dieu à l’Université.”
Tu as eu une belle carrière universitaire aux Etats-Unis où tu as fait partie des meilleurs joueurs de NCAA en simple et en double.
Oui, je suis parti aux Etats-Unis à 19 ans. Je voulais expérimenter quelque chose de nouveau. J’ai fait un an sur le circuit pro (Futures) et je n’avais pas de très bons résultats. Du coup, c’était le bon moment pour partir à l’Université, pour expérimenter de nouvelles choses dans ma vie. J’ai énormément progressé au tennis, j’ai vécu de nouvelles expériences, et cela m’a apporté beaucoup de maturité.
Le double est important en matches par équipes à l’Université. Cela a dû contribuer à ta carrière de double actuelle.
Bien sûr. Cela m’a beaucoup aidé et mon coach à l’University of Southern California , Peter Smith, est un très bon entraîneur. Il a gagné cinq fois de suite la NCAA (première division universitaire). Il basait beaucoup ses entraînements sur le simple mais également sur le double. Cela m’a fait énormément progresser car je n’étais pas aussi bon en double quand je suis arrivé à l’Université.
Est-ce que les stars de tennis en NCAA sont aussi connues que les stars de football américain à l’université, comme les quarterbacks ?
Pas du tout (rire). Je ne vais pas te mentir, c’est complètement un autre niveau. Cela équivaut à comparer Djokovic, numéro un mondial actuellement en simple, avec moi, numéro en double. C’est un autre monde.
Tu n’étais pas la star de l’université donc ?
Dans mon petit monde, oui, mais pas dans toute l’université. J’étais dans une fraternité où ils me respectaient un peu plus que quelqu’un qui n’est pas numéro un, mais pas comme le quarterback. C’est le dieu lui (rire).
“Tous ceux qui avaient accès à une télévision ont vu la finale de Wimbledon en Colombie.”
Tu as une ascension fulgurante après l’université.
Quand j’ai quitté l’université, en 2010, j’étais le n°1 en simple et en double. Je jouais bien au tennis. Je suis retourné sur le circuit et, à la fin de l’année, j’étais 170e mondial en simple et 130/120 en double. J’ai d’ailleurs commencé à jouer avec Cabal (ndlr : son partenaire de double actuel Juan Sebastian Cabal) à ce moment-là.
Quand as-tu décidé de donner la priorité au double ?
On jouait bien en double avec Sebas et je stagnais un peu en simple et j’ai pris la décision de jouer uniquement le double en 2013. J’ai eu une blessure au poignet, mais je pouvais toujours jouer les doubles. Je n’arrivais pas à taper très bien mon coup droit. Normalement, si tu as mal au poignet, tu arrêtes complètement, mais je continuais à jouer en double. Je n’ai pas fait pas les choses très professionnellement. Mon classement en simple a dégringolé un peu mais je restais 50/60 en double, et j’ai décidé de me focaliser sur le double.
En 2014, on a commencé à travailler avec Jeff, notre entraîneur, et on est devenus une paire de très haut niveau en entrant dans le Top 25. En 2014, 2015, 2016, et 2017, j’ai été blessé à chaque fois trois mois pendant l’année mais on finissait toujours 10/11e au classement ATP des paires de double. En 2017, on a vraiment franchi un palier. On était là, on jouait bien, mais je me suis blessé au dos à Roland-Garros et j’ai repris seulement à Pékin. La blessure est survenue au mauvais moment mais le niveau était là. En 2018, on commence par la finale à l’Open d’Australie et tout s’est enchaîné. On faisait les choses beaucoup mieux en termes de physique, de physio, d’alimentation, des voyages.
Comment as-tu connu Juan Sebastian Cabal ?
Il est de la même ville que moi. On joue ensemble des rencontres depuis qu’on a cinq ans. Il est comme mon grand frère.
Êtes-vous désormais des superstars en Colombie ?
Tous ceux qui avaient accès à une télévision ont vu la finale de Wimbledon. On est passés d’être connus à être très connus. Maintenant, si je vais dans un centre commercial ou si je sors, les gens vont me reconnaître alors qu’ils ne s’intéressent même pas au tennis. Cette finale a eu un énorme impact en Colombie. Les gens l’ont pris comme une finale de Coupe du Monde. Un match de cinq heures, une belle finale, le stade plein, Wimbledon, tout ça a créé quelque chose de spéciale. On a été reçus et décorés par le président deux jours après la finale.
Robert Farah et l’anecdote de la tour de contrôle
Et alors, tu aimes ce nouveau statut de star ?
(Il hésite) Ça fait plaisir après toutes ces années de travail. On est numéro un mondiaux en ce moment, donc c’est bien que les gens nous reconnaissent.
Penses-tu que cela peut développer le tennis en Colombie ?
Oui, bien sûr ! Cela fait jouer plus d’enfants. Les petits qui allaient peut-être faire un autre sport décident de jouer au tennis. Dans 10/15 ans, on aura sûrement contribué à créer quelques joueurs de tennis professionnels.
Dernière question, quelle est ton histoire la plus insolite depuis que tu joues au tennis ?
J’en ai une. En 2017, on est à Madrid et on doit aller à Munich pour jouer le tournoi. On ne s’est pas inscrit pas Internet. On devait arriver à Munich le samedi et on avait jusqu’à 14h pour signer l’inscription sur place pour participer au tournoi. On fait nos valises, on prend l’avion et on se dit : « Merde, on n’a pas signé. » Tu pouvais appeler et demander à ce qu’on signe pour toi quand tu étais en route. On avait oublié de le faire. Notre vol était de 13h à 14h30. A l’heure où on atterrissait, la deadline était passée. En plein vol, on demande à l’hôtesse ce qu’on peut faire. On est dans les airs, il n’y a pas de signal. Peut-on appeler la tour de contrôle pour qu’elle appelle le tournoi et les prévienne ? Ils ont tout fait, le pilote a tenté de le faire, mais ce n’était pas évident. A la fin, cela faisait peut-être 40 minutes qu’on était en vol et qu’on essayait avec nos téléphones et whatsapp. Et je ne sais pas comment mais Cabal a réussi à avoir un peu de signal et il a pu envoyer un message : « On va signer. », et on a pu s’inscrire. Sinon, on allait atterrir et ne pas pouvoir jouer. Malheureusement pour l’histoire, ce n’est pas le pilote qui a réussi (rire), mais elle se finit bien quand même car on a gagné le tournoi. »
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