Partager la publication "Entretien mythique et plein d’anecdotes avec Marc Rosset. Sors le pop-corn !"
Tu es journaliste. Tu veux une bonne interview. Tu appelles Marc Rosset. Le champion olympique de Barcelone en 1992, ex-n°9 mondial et vainqueur de 15 titres en simple dans sa carrière, est un très bon client. Retiré du circuit depuis 2006, le Suisse était présent en spectateur à la Laver Cup 2019 pour « découvrir et profiter de l’événement ». Entre la session de jour et de nuit de la deuxième journée, Tennis Legend a retrouvé le Genevois de 2m01 assis sur un plot en béton, juste à l’extérieur du Palexpo, en train de fumer une clope. On s’est assis à ses côtés, on a lancé le dictaphone, on a savouré cet entretien « souvenirs » avec une multitude d’anecdotes. Sortez le pop-corn !
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« Quel est le meilleur souvenir de ta carrière ?
Les Jeux Olympiques forcément. C’est ma plus grosse victoire donc c’est quelque chose de très spécial.
Le plus mauvais souvenir de ta carrière ?
Peut-être de ne pas avoir gagné la Coupe Davis quand on a perdu en 1992 contre les Etats-Unis. En face, il y avait Courier, Sampras, Agassi, McEnroe mais j’aurais bien aimé la gagner.
Ton meilleur match tennistiquement ?
C’est difficile. Il y a un match contre Boris Becker à Bercy (Ndlr : en 1994. Victoire 7/6, 7/6) où j’avais vraiment bien joué. Le match quand j’ai battu Courier en finale de la Coupe Davis, je n’ai pas trop mal joué non plus. Tous les gros matches que j’ai gagnés, forcément, je devais bien jouer au tennis ce jour-là.
Ton pire match ?
J’ai complètement raté ma demi-finale à Roland-Garros en 1996. Il y en a eu des plus pourris mais celui-là me fait mal car je fais un non-match contre Stich et c’était pour jouer Kafel (Ndrl : Kafelnikov) en finale contre qui je réussissais plutôt bien. C’est un souvenir un peu chiant.
Ton plus gros pétage de plombs ?
Compliqué, j’ai pété tellement de raquettes et j’ai payé tellement d’amendes. Peut-être une fois à Lyon où j’ai dû péter pas mal de raquettes sur le parking.
Le plus beau point de ta carrière ?
J’en ai deux. Il y a un qui me revient souvent en tête en finale des Jeux Olympiques mais ce n’est pas la balle de match. Sur balle de match, je n’avais tellement pas envie de rater que j’ai fait des lobs, mais le point d’avant où je ramène cinq / six balles assez incroyables après cinq heures de jeu. Sinon, un point pour sauver une balle de set contre Becker à Bercy où je fais un truc pas mal.
Le point en finale des J.O. est à 11’50, suivi de la balle de match.
La balle de set sauvée à Bercy contre Becker est à 1’20.
“Avec Courier, on pouvait s’insulter sur le court.”
L’adversaire que tu détestais jouer ?
Ce n’est pas que je détestais jouer un mec mais j’avais de la peine sur Goran (Ndlr : Ivanisevic) car c’était un pote et j’avais du mal à me dire : « Putain, il faut que je le batte, j’ai envie de le battre. » Et je n’arrivais pas à jouer contre lui. Il servait des obus sur mon revers. Je l’ai battu une ou deux fois mais je n’ai pas un bon bilan contre lui. (Ndrl : 4 fois exactement pour 10 défaites)
Cela t’arrivait souvent de ne pas arriver à switcher entre l’amitié et la rivalité sur le terrain ?
Non, mais c’était différent contre Goran. Je me rappelle d’une finale à Milan. Je mets quatre aces, il me met quatre aces, je mets quatre aces, il met quatre aces. Tout d’un coup, je me mettais à la place des spectateurs : Putain, ils doivent se faire chier. Je suis sorti du match et j’ai paumé. Donc je n’aimais pas jouer contre lui. Goran s’en foutait mais moi, des fois, je me mettais dans la peau des spectateurs et j’avais mauvaise conscience.
Le joueur que tu adorais jouer ?
Tous les joueurs qui représentaient un challenge. Courier, j’adorais. Des bonnes batailles. On pouvait s’insulter comme en finale de la Coupe Davis. Il était tendu ce match. Rebeuh (Ndrl : Bruno Rebeuh, arbitre français) avait fait un truc, puis Jim a craché dans ma direction. Au changement de côté suivant, j’ai craché sur ses pompes et c’était un duel de testostérone. Par exemple, quand tu faisais un match contre Courier et que tu te retrouvais au filet, il frappait de toutes ses forces pour essayer de t’intimider et j’aimais bien cette ambiance électrique. Mais une fois que le match était fini, on était potes et on allait boire des coups ensemble.
“Ivanisevic a fait le truc le plus fou que j’ai vu.”
Le joueur le plus insupportable sur le court ?
Honnêtement, je ne sais pas. Il y avait des mecs avec qui je n’avais aucune affinité et que je n’aimais pas mais ils n’étaient pas forcément insupportables sur un terrain.
Le plus antipathique en dehors du court ?
Jeff Tarango m’avait fait chier. A Wimbledon, il avait parlé dans la presse comme quoi Bruno Rebeuh m’avait fait gagner les Jeux Olympiques. Cela avait foutu un bordel monstre. Et je me suis dit : « Putain, il est con ce mec. » Comme s’il avait influencé le match. C’était en 1995, quand il avait quitté le court et sa femme avait mis une baffe à Rebeuh. Après, il arrive en conférence de presse et il commence à parler mal de Rebeuh : « De toute façon, il est corrompu. Il a favorisé Rosset en finale des Jeux Olympiques ». J’étais là : « Mais What the fuck, le mec est débile ». Quand un mec sort ça de nulle part. Merci. Au revoir. Tu passes à autre chose.
Le joueur le plus fou ?
Le truc le plus fou que j’ai vu, c’est Ivanisevic à Wimbledon en 1993. J’étais dans la box avec Bob Brett. Il joue un Anglais qui s’appelait Bailey (Ndlr : Chris Bailey précisément) et Goran a balle de match contre lui. Il sert la première à 215 / 220. Il la rate. Il sert une deuxième à 215. Elle fait let et tombe deux centimètres devant la ligne. Et là, il ressert à 216 et il fait un ace. Il avait beaucoup de points à défendre (ndlr : il avait finale en 1992), c’était une balle de match et j’ai trouvé que c’était assez couillu ce qu’il a fait ce jour-là.
Goran, Marat (Safin) ou moi, on avait des personnalités. On pouvait parfois dégoupiller sur un terrain car on était des ultra-sensibles mais je ne me considère pas comme fou et je ne mettrai pas Marat et Goran dans cette catégorie.
Le joueur le plus drôle ?
Goran. Il pouvait vraiment me faire rire quand il me racontait des histoires. Parfois, il me racontait des histoires en parlant de lui à la troisième personne mais ses anecdotes étaient à mourir de rire.
“Je me mets dans le Top 10 des plus gros fêtards.”
Le plus gros fêtard du circuit ?
(Il réfléchit). Je ne sais pas. Disons que je vais me mettre dans le Top 5 ou plutôt dans le Top 10. Facile.
Il y a qui dans le Top 10 ?
Je ne suis pas une balance mais je me mets dans le Top 10 et je pense que les neuf autres sont faciles à trouver. Je pourrais te sortir des noms, des mecs qui ont été 2 ou 3 mondial et qui ont gagné des Grands Chelems.
Ta plus grosse soirée ?
Certainement la demi-finale de Coupe Davis en 1992 contre le Brésil. On a joué ici (Ndlr : à Palexpo, à Genève) devant 18000 personnes. On gagne 3/0 le samedi. Je me dis qu’il n’y aura pas grand monde dimanche car le score est plié et je pensais que les remplaçants allaient jouer les matches. Donc là, je me suis fait plaisir. Quand je me suis réveillé le dimanche assez tardivement, on m’a dit qu’il y avait toujours 18000 personnes et que ça serait bien que je joue mon simple. C’était compliqué, mais j’ai gagné.
On a fait des belles soirées en Coupe Davis. Georges Deniau avait une formule que j’adorais quand on gagnait et qu’on arrivait à un endroit pour boire des verres, il disait : « Les gars, on n’est pas venus ici pour sucer des glaçons. »
Un fou rire à Rotterdam et la main cassée de Kafelnikov.
L’anecdote la plus insolite ou la plus drôle de ta carrière ?
C’était pendant un double à Rotterdam. Je jouais avec Nicolas Escudé contre Marat et Nicolas Kiefer. On passait pas mal de temps ensemble Marat, Nicolas (Escudé), moi et Arnaud Casagrande, qui était le coach d’Escudé. A un moment donné, il y a un lob. Je dis à Scud que je la prends et j’ai inventé dans le tennis un truc qui n’avait jamais été fait : la détente négative. J’ai reculé, j’ai plié les jambes pour essayer de faire un smash en extension, et j’ai fait une détente où j’ai terminé en étant plus bas que ma taille. Je fais 2 mètres et j’ai raté la balle avec ma détente négative. Là, on a pris un fou rire. Scud était par terre. Marat était par terre. J’étais par terre. Arnaud Casagrande a dû quitter le stade tellement il n’en pouvait plus, et Kiefer ne comprenait pas pourquoi on rigolait. Il croyait qu’on se foutait de sa gueule, donc il était un peu énervé. Je pense qu’on n’a pas joué le match pendant quinze minutes. On était trois sur un fou rire nerveux. Dès qu’on se regardait, on repartait. Je n’en pouvais plus. Mais je te jure, elle était mythique ma détente.
J’ai lu aussi que tu t’étais cassé le poignet lors du double mixte en finale de la Hopman Cup en 1996.
On avait trois balles de match avec Hingis et Goran fait une double faute. Il le sait qu’il fait une double donc on gagne le match normalement. Il n’y avait pas de juge de lignes. C’était un système électronique. Il y avait une bâche derrière avec un montant en fer tous les cinq mètres. Je tape sur la bâche avec ma main et, manque de cul, je me pète la main sur un montant. J’étais comme un con car j’ai dû abandonner en finale de la Hopman Cul pour un geste comme ça. Derrière, je n’ai pas pu jouer l’Open d’Australie. Après, on jouait l’Allemagne à Palexpo en Coupe Davis. J’ai joué avec trois doigts, je me suis pris une branlée, et je me suis fait huer par tout le public suisse.
Kafel (Ndrl : Kafelnikov) s’est pété la main aussi une fois en Australie. Il y avait un sac de boxe à l’hôtel dans la salle de fitness. Avec ma hauteur, je tapais dans le sac mais il n’y avait pas trop de sable. Kafel est arrivé et il me voyait taper fort. Il a tapé un bon coup en bas du sac, là il y a le plus de sable, et je vois ensuite qu’il a un peu mal à la main. Le lendemain, j’apprends le forfait de Kafelnikov en raison d’une main cassée. Apparemment, il se l’était cassée autrement mais je soupçonne que ce soit sur le sac de frappe.
Est-ce que ta vision de la vie a changé quand tu n’as pas pris cet avion à New-York, en 1998 ? (Ndlr : Après sa défaite au premier tour de l’US Open, Rosset devait rentrer en Suisse à bord d’un avion qui s’est écrasé mais il avait finalement décidé de rester un peu à Big Apple.)
C’est horrible à dire mais non. Quand j’ai raté l’avion, forcément, la première semaine tu te dis « Wow ! ». Ça te choque. Après le choc, tu te dis que tu vas voir la vie différemment. Tu vas à un tournoi. Tu perds un match. Tu relativises un peu. Tu vas à un autre tournoi, tu perds encore. Tu te dis : « bon, je pourrais être mort. » Et au bout de cinq matches perdus, tu recommences à casser des raquettes parce que tu ne vas pas vivre toute ta vie en te disant : « Maintenant, tout ce qui m’arrive, c’est du bonus ». L’être humain, et c’est la beauté du cerveau, te permet parfois d’oublier ce genre de choses, ce qui fait que tu t’énerves trois semaines après pour un truc con car tu ne peux pas penser toute ta vie que tu devrais être mort.
“Kyrgios n’a pas de cul car il y a les réseaux sociaux.”
On parle beaucoup de Nick Kyrgios en ce moment et je voudrais avoir ton avis sur lui.
J’adore ce mec ! Le mec n’a pas cul car il y a les réseaux sociaux. Moi, Goran, Marat, ou McEnroe et Connors à l’époque, on a dû dire autant d’obscénités sur le terrain que Nick Kyrgios. On a dû casser autant de raquettes et faire autant de trucs horribles. J’ai dit des trucs sur le terrain dont je ne suis pas fier mais il n’y avait pas les réseaux sociaux à mon époque et toujours un mec en train de filmer quand je les disais.
Kyrgios est une star. Il joue super bien au tennis quand il est canalisé, quand il a envie, quand il joue pour une équipe. Un, il a un jeu fabuleux. Deux, c’est une vraie personnalité. Trois, il est bankable pour le tennis. La première semaine à Wimbledon, il n’y a pas grand-chose à se foutre sous la dent mais tu allumes ta télé quand tu sais qu’il y a un Kyrgios – Nadal car il peut se passer quelque chose. C’est nul et trop facile de toujours lui tomber dessus. L’ATP lui met des amendes pas possibles mais elle a besoin de lui.
J’ai un souvenir en 2017 d’un Kyrgios – Federer à Miami qui est un des plus beaux matches que j’ai pu voir. 7/6, 6/7, 7/6, des balles de matches sauvées, des points de folie. Kyrgios ne bronche pas, il serre la main de Federer, et il pète sa raquette en revenant vers sa chaise. Le lendemain, on lit : « Kyrgios pète sa raquette » et tout ça. Wawrinka, il casse combien de raquettes par match quand il ne joue pas bien ? Il en casse mais on ne dit rien.
C’est comme moi. Quand j’ai commencé ma carrière, je me suis comporté comme je me suis comporté, un peu provocateur, puis j’ai été catalogué pendant 15 ans de ma vie fêtard, provocateur, rebelle, parce les gens veulent entendre ça de toi et que les journalistes écrivent ça de toi. On t’a foutu une étiquette et c’est impossible de l’enlever. Maintenant, Kyrgios pourrait être exemplaire mais il fera les gros titres à la moindre première petite frasque et, malheureusement, cela va lui coller à la peau toute sa vie.
“J’ai un gros problème avec les 32 têtes de série.”
En plus de Kyrgios, quels joueurs te font kiffer aujourd’hui ?
Tsitsipas. On a souvent comparé Dimitrov à Federer en l’appelant Baby Federer parce que Wilson, Nike, la technique, mais Tsitsipas est celui qui se rapproche le plus de Federer quand il avait le même âge dans sa façon de jouer, l’envie de jouer vers l’avant, de prendre le filet. Ce mec dégage une énergie positive. Medvedev a été monstrueux en finale de l’US Open, mais vraiment monstrueux ! Il joue de façon un peu bizarre mais ses matches sont des parties d’échecs.
Question plus générale sur le tennis aujourd’hui. Regrettes-tu des choses par rapport à ton époque ?
Le seul regret que j’ai par rapport à aujourd’hui, c’est les 32 têtes de série en Grand Chelem. J’ai un gros problème avec ça. Je me demande si les 16 têtes de série et les surfaces un peu différentes, comme le gazon plus rapide, n’aidaient pas les jeunes joueurs à gagner des tournois du Grand Chelem (Ndrl : le passage de 16 à 32 têtes de série est appliqué depuis Wimbledon 2001). Les surfaces un peu lentes et les 32 têtes de série compliquent la donne. Pour gagner Roland, Tsitsipas aurait dû battre Wawrinka, Federer, Nadal et Djokovic ou Thiem en finale en six jours. Est-ce possible pour un mec qui a 21 ans ? Je ne crois pas. Avec 16 têtes de série, tu peux avoir des favoris qui tombent. Là, tu as souvent les meilleurs en huitièmes ou en quarts et s’il faut se les taper tous à la suite, j’ai l’impression que c’est un peu trop compliqué physiquement pour les jeunes joueurs. »