Partager la publication "Cédric Pioline : « Mon dominant, c’était Pete Sampras » (Entretien)"

Ex-n°5 mondial, double finaliste en Grand Chelem à l’US Open 1993 et à Wimbledon 1997, vainqueur en Masters 1000, Cédric Pioline n’a gagné que 5 titres sur le circuit ATP mais il fait partie des plus grands joueurs français et il a marqué l’histoire du tennis tricolore. Directeur du Rolex Paris Masters pour la première année lors de cette édition 2022, nous avons longuement discuté avec La Piol pour revenir sur les grands moments de sa carrière. Entretien.
« Quel est ton meilleur souvenir au Rolex Paris Masters ?
Ce n’est pas un souvenir de jeu mais c’est l’endroit où j’ai arrêté ma carrière (en 2002). J’ai atteint la finale en double avec Kuerten en tant que partenaire. Ce n’était pas du tout prémédité et je me suis dit, “C’est peut-être l’heure. Là, l’endroit, c’est génial” car j’avais un peu coulé en simple. J’avais 32, 33 ans, je n’étais plus dans les tableaux. Jouer des Challengers avait moins de signification, donc finalement c’est un super souvenir et je suis aujourd’hui directeur du tournoi où j’ai arrêté ma carrière.
Tu as décidé sur un coup de tête ?
Le contexte de l’époque, on est en 2002 et on était en finale de la Coupe Davis contre les Russes, à Bercy d’ailleurs. Je savais que j’étais mort en simple mais je me disais pourquoi pas en double, comme l’année précédente en 2001 où on avait gagné la Coupe Davis contre l’Australie. Puis j’ai compris que je ne serais pas concerné. C’est là où je me suis un peu posé en disant : Bon, où est-ce que j’en suis ? 2002, j’ai 33 ans, ce qui était tard à l’époque, puis c’est venu assez naturellement. Les efforts pour revenir pour regagner le classement, c’est pratiquement une année, donc ça me pousse à 34 ans. Pour aller où ? Il n’y avait plus de chemin en fait.
Mais le public était au courant ? Il s’est passé quelque chose pour ta fin de carrière ?
Non, pas vraiment, si ce n’est lors du discours de la finale. Je ne sais pas comment, ce que j’ai dit, mais les gens l’ont senti et commencé à dire “Non, non, non, reste encore”, et puis j’ai annoncé que c’était le moment pour moi d’arrêter donc ce n’était pas organisé.
A l’inverse, quel est ton plus mauvais souvenir à Bercy ?
J’ai deux matches en mémoire. Un contre Rafter et un contre Chang où j’ai balles de match les deux fois pour avancer dans le tableau contre des top joueurs. Donc ce ne sont pas des bons souvenirs. D’une manière plus globale, je n’ai jamais réussi à bien jouer ici. Mon meilleur résultat, c’est quart de finale alors que c’était une surface qui me convenait et les conditions étaient réunies pour que je joue bien. C’est un regret pour moi.
Il y a le fameux épisode avec Kafelnikov en 1996 où tu quittes le court en faisant un bras d’honneur. Peux-tu rappeler pour les plus jeunes qui ne connaissent pas forcément cette histoire ce qu’il s’était passé pendant la rencontre ?
C’était un contexte particulier. Il y avait eu un petit groupe de spectateurs qui avait vraiment fait tourner le match. Je pense que ce n’était pas des fans de tennis et ils étaient juste là pour perturber. Dans la salle, pour ceux qui sont déjà venus, on voit du noir, surtout en haut des tribunes. On ne voit pas, on ne sait pas, on lève la tête mais on voit du noir. Donc, ça a fait tourner le match et c’est vrai que c’était décevant. Je n’avais pas la prétention de penser que tout le monde pouvait être fan de Pioline ou m’aimer en tant que joueur mais de là à aller dans l’excès inverse et arriver à faire tourner un match en France sur ce type de comportement, j’avais trouvé ça fou.
Le public de Bercy a eu pendant longtemps la réputation d’être assez dur, parfois impitoyable. Penses-tu que cela soit toujours le cas ?
Je pense que ça s’est lissé dans le temps, même s’il y a toujours un public très chaud mais beaucoup plus porté sur le sport, très réactif au show qu’il voit et plus le show est bon plus ils sont chauds, deux orthographes différentes. Donc on est quand même toujours sur un public très réactif et l’indoor accentue l’effet aussi, la caisse de résonance est plus grande.
Tu es le seul joueur français à avoir fait deux finales de Grand Chelem dans l’ère Open. Tu en veux un peu à Pete Sampras d’avoir existé ?
Quand on reprend l’histoire du tennis, il y a souvent eu pendant certaines périodes des dominants. Moi, mon dominant, c’était Sampras, comme Federer a été le dominant de Roddick. D’ailleurs, il a déclaré que s’il n’y avait pas eu Federer, il aurait un palmarès bien plus riche avec probablement d’autres titres du Grand Chelem. Peut-être que moi, si je n’avais pas eu Sampras, j’aurais au moins un tournoi du Grand Chelem à mon palmarès. Il était un peu injouable. C’est celui qui gagnait le plus et il m’a toujours posé d’énormes problèmes. Les deux fois en finale, c’était contre lui. D’un côté, évidemment, c’est un souvenir incroyable quand tu te dis : on part à 128 et il en reste deux à la fin et tu fais partie de ces deux-là. C’est hyper gratifiant. Mais d’un autre côté, tu te dis, je suis tellement proche, quel dommage. C’est un mélange mais cela reste deux aventures incroyables.
Est-ce qu’il t’arrive de repenser à ces finales ? Ou c’est totalement du passé ?
Très rarement je ne vais pas dire jamais mais très rarement. Avec un élément déclencheur, comme quand on en parle maintenant, on se replonge mais de moi-même, c’est extrêmement rare ou quand je suis amené à aller sur place à l’US Open ou à Wimbledon. D’un coup, tu as des trucs qui reviennent. Et se dire “J’ai performé ici”, c’est pas mal.
Il te reste des petites sensations ou cela disparaît ?
Je vais être honnête, chaque année qui passe, cela a tendance à baisser.
Rien à voir mais j’adore ce moment. Tu es réputé pour avoir fait une analyse légendaire en 1996 contre Marcelo Rios, à Roland-Garros, où à la fin du match tu dis « Je l’ai fait voler en éclats ». On a dû t’en parler des centaines de fois mais comment est venue cette déclaration ?
Dans toutes les générations, il y a toujours des joueurs qui sont plus ou moins sympathiques et Rios ce n’était pas le plus sympathique. On est toujours motivé évidemment quand on rentre sur un court mais il avait cette arrogance qui te donnait ce surplus de motivation. Il s’est trouvé que j’avais fait un gros match pour le battre alors qu’il était dans les cinq premiers. Cela avait été même à sens unique si je me souviens bien. Je ne sais plus le score mais je me souviens que je l’avais quand même bien dominé et donc j’ai eu ce truc qui est sorti de nulle part sur l’adrénaline à la fin du match puisque c’était une interview en sortant du court. Donc c’était très proche de la fin du match et t’es encore en haut, car tu viens de te qualifier en quart de Roland sur le Central et c’est sorti quoi.
On t’en a parlé dans le vestiaire après ?
Ouais, mais même encore aujourd’hui, et les jeunes générations ont été voir sur YouTube. Si cela se passait aujourd’hui avec les réseaux sociaux, je ne sais pas si ça deviendrait viral mais ça serait amplifié. Alors que là, bon, c’était le contexte de l’époque avec les médias. Tu faisais l’interview télé, un peu de radio et t’attendais le lendemain dans la presse écrite.
Qui était ton meilleur ami sur le circuit ?
Ami, je ne sais pas si cela va jusque-là mais je m’entendais bien avec plein de gens que ce soit des Français, bien entendu, mais aussi plein d’espagnols. Je me suis toujours bien entendu avec eux comme Bruguera, puis Moya. Les Sud-Américains, je m’entendais bien avec eux, Henman aussi, Wayne Ferreira le Sud-Africain, Todd Martin. Quand tu es 7/8 mois sur la route, c’est long, puis on ne participe pas tous forcément aux mêmes tournois, à part les Grands Chelems et les Masters 1000, donc il vaut mieux avoir des bonnes connexions avec certaines personnes parce que sinon c’est très long.
Qui était le joueur le plus drôle dans le vestiaire ?
Déconneurs, drôles, il y avait les Russes. Ils avaient ce petit côté foufou, Kafel (nikov), Marat après quand il est arrivé, ça mettait de l’ambiance dans le vestiaire.
Le joueur le plus fou ?
Jeff Tarango, il était un peu bizarre, un peu excessif, je pense que c’est la bonne personne à citer.
L’adversaire que tu préférais jouer ?
J’avais des bons face-à-face contre Krajicek qui était quand même un très bon joueur, Rusedski, des gros serveurs mais aussi Paul Haarhuis qui était un peu moins bien classé mais un très très bon joueur, Rafter aussi, j’ai eu un très bon ratio contre lui, Todd Martin, ce genre de joueurs.
Et tes bêtes noires ?
Souvent des Américains, Sampras, Agassi, Chang, Becker mais bon là je cite des joueurs qui ont tous été n°1 mondial et qui, par définition, gagnent plus que les autres. En général, ils sont rarement négatifs dans les face-à-face avec les autres.
Mais il y avait un joueur par exemple, tu savais que tu allais l’affronter, tu disais merde, j’ai pas trop de solutions contre lui, ça va être compliqué.
Ceux-là. Tu te demandes si tu n’arrives pas à trouver la solution ou si le type de jeu que tu proposes est très favorable à leur type de jeu ? Et c’est très complique de jouer contre nature. Tu ne peux pas complètement changer ton jeu. Il y a un moment où c’est très désagréable car il s’agit d’un jeu très psychologique et tu sens réellement que tu n’as pas de solutions ou encore pire, tu as l’impression que le mec sait avant toi où tu vas jouer.
As-tu un souvenir d’un match où tu étais totalement dans la zone ?
Oui, probablement la demi-finale que j’ai jouée contre Stitch à l’US Open. A l’inverse, c’est très agréable. C’est un truc de mazo, c’est-à-dire que tu t’entraînes comme un chien pour vivre ces moments-là qui sont très éphémères, et la masse d’entraînement que tu dois avaler pour arriver à ce niveau-là, elle est complètement incroyable, déséquilibrée même.
Il t’est déjà arrivé de te dire sur le court : « Là, il ne peut rien m’arriver ».
Non, tu ne te le dis pas de cette manière-là. Tu essaies de rester centré, de te dire “ça marche bien aujourd’hui” et justement il faut rester là-dedans. Il ne faut pas se projeter, il, tu sors du truc sinon. Après le match, tu peux te dire “Aujourd’hui, c’est incroyable, tout a été pour moi, les lignes, les bandes, le vent, le truc, je sentais tout très bien.”
Dernière question : as-tu une anecdote un peu marrante en mémoire ?
J’en ai une assez marrante, enfin que je trouve marrante. Quand je me suis qualifié pour les demi-finales de l’US Open en 1999. Il y a un énorme parking à côté du stade pour les joueurs et les VIP. J’attends ma voiture et je vois un truc à l’américaine, une stretch limo qui arrive, mais genre la stretch stretch, vraiment la version très longue, vitres teintées. Je ne sais pas qui c’est, je m’en fous. Et puis elle s’arrête à ma hauteur, la vitre descend, et je vois dans la voiture Liza Minnelli qui me dit, “Je viens juste de regarder ton match, c’est incroyable, super, est-ce que tu veux que je te dépose à Manhattan ?”.
Donc Liza Minnelli m’a amené à mon hôtel dans sa limo et m’a déposé, c’était hyper cool. C’est vraiment le genre de choses qui arrivent beaucoup aux Etats-Unis parce qu’ils ont cette mentalité facile. Ils vont vers toi ce qui arrive un peu moins en Europe. Une fois à l’hôtel, encore à New York, je suis seul dans l’ascenseur, il s’ouvre, et il y a Seal qui rentre. Il parle parfaitement français d’ailleurs et il me dit « Ah, bonjour Monsieur Pioline ». Je le regarde et je lui fais, « Mais vous me connaissez ? » Et il me dit, « Mais bien sûr, super, t’as joué ci, ça, tac ». C’est un fan de tennis, mais c’est marrant les hasards de la vie à travers les rencontres. »
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