Partager la publication "Alexander Bublik : « Je détesterai toujours la terre battue même si je gagne Roland-Garros. »"

Alexander Bublik est un joueur atypique sur le circuit. Le Kazakh de 24 ans (génération 1997), né en Russie, est fantasque sur un court. Il n’a pas oublié que le tennis est un jeu, mais ce jeu est son métier et il est un compétiteur. On a voulu en savoir plus sur le vainqueur du tournoi de Montpellier 2022, son seul titre ATP à ce jour, et il a accepté de nous répondre à Roland-Garros, après une victoire en double avec Thanasi Kokkinakis. On a découvert une personnalité très intéressante, pleine de contradictions, un gars sympa avec un don pour les punchlines et Bublik a donné le ton dès sa première réponse. Démarrage en trombe.
« Le double n’est pas du tennis, c’est une moitié de tennis, du divertissement. »
« Tu as gagné aujourd’hui en double. Cela signifie que la saison sur terre n’est pas finie pour toi. Est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ?
Non, la saison sur terre est finie. Le double n’est pas du tennis.
C’est quoi le double alors ?
Une moitié de tennis. Sans plaisanter. C’est une moitié de court, une moitié de tout. Ce n’est pas du tennis, c’est du divertissement.
Tu aimes le double ?
Bien sûr ! Le tennis est le boulot. C’est juste une distraction par rapport au simple. Le simple, c’est dur. Tu dois courir, rester concentré, d’entraîner dur. En double, je ne m’échauffe même pas. Je ne tape jamais avant un double. Demande à Thanasi (l’Australien est juste à côté, il fait une interview avec une journaliste).
Tu ne t’échauffes jamais avant un double ?
Je me suis juste échauffé avant la finale l’année dernière (perdue contre Mahut et Herbert) et c’était une erreur. Je ne m’étais pas échauffé avant la demie. Je m’échauffe physiquement, je fais ma routine, mais je ne tape pas de balles.
Thanasi Kokkinakis a gagné le double avec Nick Kyrgios à l’Open d’Australie. Tu ressembles un peu à Nick. Tu es un personnage, un joueur divertissant. Comment avez-vous décidé de jouer ensemble ?
Nous nous sommes mis d’accord. Je lui ai demandé à Indian Wells et nous voici.
Tu t’amuses avec Thanasi ?
Bien sûr. C’est un super mec et je pense qu’on peut faire quelques dégâts en double.
« Même si je gagne tous les tournois sur terre, je n’aimerai toujours pas. »
Tu détestes toujours la terre ?
Oui.
Tu tentes de t’améliorer sur terre ?
Comment peux-tu mettre « détester la terre » et « progresser » dans le même panier ? Je n’aime pas jouer sur cette surface quel que soit le résultat. Si je gagne Roland-Garros, je dirai que je n’aime pas. Même si je gagne tous les tournois sur terre, je n’aimerai toujours pas, peu importe l’argent et les titres que je gagnerai dessus. Pourquoi aimerais-je ?
Mais essayes-tu quand même de t’améliorer sur cette surface ?
A toi me dire. Je n’ai aucune idée. Je m’entraîne de la même façon et je vois où ça me mène.
Ton entraîneur, essaye-t-il de faire de toi un meilleur joueur sur terre ?
Il essaye de faire de moi un meilleur joueur de tennis. Je peux faire l’impasse sur toute la saison sur terre, cela n’affectera pas du tout mon classement. Pour moi, ça permet juste d’aller dans des belles villes (Monte-Carlo, Madrid, Rome, Paris).
« J’aime la culture. »
Aimes-tu ton travail ?
Oui et non. J’aime voyager parfois. La plupart du temps, je n’aime pas. J’aime jouer au tennis mais je n’aime pas la compétition. Je n’aime pas prendre l’avion toutes les semaines. J’aime voyager en voiture ou en train de Monte-Carlo à Paris ou Rome.
As-tu le temps de visiter les villes ?
J’ai tout le temps. Je m’entraîne 2h par jour, de 18h à 20h tous les jours. En fait 3h, de 17 à 20h avec le physique. Donc 3h et je suis libre le reste de la journée. Aujourd’hui, avant le match, avec ma femme, nous sommes allés au musée. On s’est levés, on est allés au musée, on a marché jusqu’au Louvre, nous avons vu le musée Picasso. Tout ça avant le match. Je ne reste pas assis dans ma chambre où il fait 18 degrés à attendre avec ma raquette.
Tu aimes l’art ?
Je ne le comprends pas mais j’aime aller en voir. Découvrir que ceci a été dessiné, construit, créé par quelqu’un il y a 100, 300, 500 ans. J’aime la culture. J’ai grandi dans une ville très culturelle. Ma famille aime ça. Il y avait des musées, des églises et tout ça dans mon environnement. J’ai été élevé comme ça et j’adore être ici, à Paris, dans une ville très historique.
Quelle est ta ville préférée ?
Saint-Pétersbourg puis Londres, Paris, Rome, le Vatican, toutes ces villes avec une grande histoire avec des anciens bâtiments. C’est magnifique.
Les contradictions d’Alexander Bublik
Tu disais il y a quelques instants que tu aimes le tennis mais tu n’aimes pas la compétition. Comment fais-tu pour être un joueur pro ? Tu dois être un compétiteur.
Je le suis mais je n’aime pas ça. C’est mon boulot. Je dois le faire car je suis bon au tennis.
Comment gères-tu la défaite ? Est-ce douloureux ?
Je m’en fous. Non, je ne dirais pas que je m’en fous. Cela ne serait pas intelligent de dire ça. Je la prends comme telle. On perd toutes les semaines, c’est normal, ça fait partie de la vie. Le but dans la vie est d’être heureux. Si tu ne peux pas être heureux, si tu déprimes quand tu perds, si tu vas dans ta chambre et que tu pleures et que tu veux te suicider pour ça, arrête le tennis et fais autre chose.
« Je ne resterai pas assis cinq heures pour voir Roger et Rafa jouer. »
Es-tu heureux ?
Bien sûr. Je ne serais pas assis avec toi si je n’étais pas heureux. Je fais ce que j’aime. Je fais ce que j’ai rêvé quand j’étais enfant. C’est très important d’avoir une chance d’accomplir ses rêves. J’ai ma famille, ma femme avec moi, mon entraîneur, mon équipe, ma mère, tout le monde est heureux. Je suis en bonne santé et c’est la chose la plus importante dans la vie, pas le tennis.
Une fois le match terminé, tu arrives à tout de suite passer à autre chose ?
Ma femme ne sait même pas quand je joue. Elle vient de temps en temps en simple mais jamais en double. 99% du temps, on ne parle pas de tennis.
Regardes-tu du tennis ?
Parfois, quand il y a 6-6 au tie-break en finale avec Djokovic ou truc du genre, oui. J’aime la tension, l’intensité dramatique, comme tous les fans, mais je ne resterai pas assis cinq heures pour voir Roger et Rafa jouer.
Sa relation à l’argent
Tu avais dit il y a deux ans dans une interview pour L’Equipe que tu jouais juste pour l’argent. Est-ce toujours le cas ?
Je l’ai expliqué plein de fois, c’était juste une déclaration provocatrice, controversée. L’argent est une grande partie du tennis. Plus je joue, plus je gagne de l’argent, moins ça devient important pour moi. Je joue car j’aime jouer au tennis. Mais si vous me retirez l’argent, je jouerai quand même 40 minutes chez moi tous les jours sur mon court, mais je voyagerai plus en Australie, aux Etats-Unis, à faire tout le temps des allers-retours. Ce n’est plus aussi important car j’ai accompli un peu ce que je voulais faire. Maintenant, je peux prendre soin de ma famille, de ma femme, de mon bébé qui arrive bientôt, donc ce n’est plus aussi important.
« Je ne pense pas que je puisse gagner un Grand Chelem. »
Tu as seulement 24 ans. Quels sont tes buts dans le tennis ?
Si je suis assis ici aussi tranquille et paisible dans dix ans, je serai heureux. Je veux jouer aussi longtemps que possible tant que je me sens bien. Le jour où je ne me sentirai plus en forme, vous ne verrez plus. J’informerai le directeur du tournoi où je veux finir et je raccrocherai les raquettes. Le jour où je n’irai plus la flamme d’aller sur le court et d’essayer de gagner, ça sera fini, quelle que soit la rémunération.
Tu sembles prendre beaucoup de plaisir sur le court.
Oui et le jour où je n’en aurai plus. J’arrêterai. Cela peut arriver n’importe quand.
Beaucoup de joueurs quand on leur pose cette question répondent « Je veux gagner un Grand Chelem, je veux être n°1 mondial ».
Combien d’entre eux l’ont fait ? Le dire est une chose mais avoir vraiment une chance d’y arriver en est une autre.
Penses-tu que tu peux gagner un Grand Chelem ?
Non.
Tu peux peut-être gagner Wimbledon sur gazon ?
Je ne pense pas que je puisse. Si je le fais, c’est bien, mais si je ne le fais pas, c’est bien aussi. Crois-moi. Je ne suis pas là pour faire des énormes déclarations en disant que je veux être n°1 ou n°2. Oublie. J’essaye d’être heureux, de rester en bonne santé, de profiter de la vie et de donner un bon exemple pour les jeunes générations.
« Je suis toujours un enfant qui aime le tennis. »
C’était ma prochaine question. Que dirais-tu à un jeune fan de tennis qui t’apprécie ?
N’oublie pas de rêver et aime ce que tu fais même quand c’est dur de l’aimer.
Tu ne prends pas de plaisir parfois ?
50/50.Tu aimes ton travail tous les jours ?
La plupart du temps. Je suis un fan de tennis.
Tu te réveilles chaque jour avec le sourire et une balle de tennis dans les yeux ?
Peut-être pas 50/50 mais 80/20, c’est mieux.
Cela dépend, vraiment. Quand ma famille est avec moi, j’aime bien. Quand je suis seul dans un tournoi au milieu de nulle part, jouant cet ATP 250 sans raisons, je ne sais pas ce que je fais là. Voilà pourquoi je perds souvent ce genre de matches.
Pourquoi tu y vas dans ce cas-là ?
Parfois, c’est une habitude. Parfois, je n’ai rien à faire. Ma femme est quelque part. Mon coach est aussi absent avec sa femme. Le tournoi m’appelle, tu veux venir jouer Alex ? Nous avons ci et ça, tu joueras à 18h et j’ai envie d’aller taper des balles. Je suis toujours un enfant qui aime le tennis, ne l’oublie pas. C’était mon rêve de jouer au tennis.
Parfois, je l’oublie. Comme le Petit Prince, tu sais. Tout le monde a été enfant une fois mais tout le monde l’oublie. C’était mon rêve de jouer mais les gens l’oublient quand je jure, quand je dis que je n’aime pas ça, que je joue pour l’argent, mais la réalité est différente.
« Un ami est un quelqu’un pour qui tu prendrais une balle. »
Quand ta femme n’est pas avec toi, pourquoi ne traînes-tu pas avec tes amis sur le circuit ?
Je le fais mais le tennis est un sport très individuel. Presque tout le monde est en concurrence, même dans le vestiaire. Je peux aller dîner avec des gars mais ce ne sont pas des vrais amis mais des collègues, des connaissances, appelle-les comme tu veux. Ami est un mot fort. C’est dur de citer quelqu’un comme un ami.
J’aiderais beaucoup d’entre eux s’ils m’appellent pour me dire : Alex, j’ai besoin de ton aide pour quelque chose. Mais dans mon éducation, un ami est un mot plus fort. Un ami est un quelqu’un pour qui tu prendrais une balle. J’ai un ou deux amis. Pas 15. »
Si jamais un anglophone est arrivé jusqu’ici, il peut aussi écouter l’interview d’Alexander Bublik en anglais ci-dessous.
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